[Récit] Réunion Secrète

Le feu crépitait dans un recoin de l’abbaye de Violecée-la-Plaine. La nuit était avancée, et dans la noirceur de celle-ci, les quelques brindilles qui flambaient semblaient être un soleil au milieu du néant, illuminant colonnes, débris, poutres et la cabane de bric et de broc qui faisait la « demeure familiale » de Énieul du Chêne, ex-Seigneur de Castel-Graal, et premier parmi les suivants d’Ulfrik.
Il se leva du torse de statue brisée qui lui servait de siège, et, faisant le moins de bruit possible, entra dans son cabanon. Il jeta un œil à sa nouvelle épouse, une paysanne qui avait su toucher son cœur desséché et égaré. Son esprit simplet était aveugle et elle ne semblait pas avoir remarqué que Sire Énieul n’avait plus sa raison depuis bien longtemps.
Après quelques secondes d’hésitation, il ceint sa lame au côté gauche, et enfila son énorme veste de cuir, puis sortit sur la pointe des pieds.
Ce soir était un grand soir.
Il allait renaître.

La nuit était fraîche, et le ciel étoilé. Le chevalier déchu pris une inspiration profonde. L’air froid chargé des odeurs de l’hiver approchant s’infiltrat avec difficulté dans ses narines obstruées de bubons douloureux, lui apportant un brin de lucidité. Il prit d’un pas vif la direction de l’ancien moulin de Violecée, où Isabelle de Barbouin-Bestu avait établi son domaine.

La roue à aubes reposait brisée et à moitié carbonisée dans le cours d’eau jouxtant la demeure, le moignon d’axe pourrissant dépassant du mur de pierre. Le toit avait été réparé avec les moyens du bord : bardeaux, chaume… Aucun des membres de la communauté ne savait faire ça, mais un petit groupe composé du Jean, du Charles et même de Messire Edmond le Bon s’était dévoué à cette cause, et avait entrepris de réparer du mieux qu’ils le pouvaient les toits des bâtiments utilisés. Et ils y étaient plutôt bien parvenu, puisque personne ne se plaignait d’infiltration d’eau démesurées. Quelques gouttes lors des fortes pluies, mais rien que de très normal quand nul ne pouvait se permettre d’avoir un toit de tuiles ou de lauses.


Énieul s’arrêta devant la porte et toqua discrètement. On vint rapidement lui ouvrir, et il entra dans la pièce réchauffée par un feu de bois crépitant. Le serf de Madame de Barbouin-Bestu s’écarta la tête penchée pour le laisser passer, mais Énieul ne lui accorda même pas un regard, et sans attendre l’invitation de la maîtresse de maison, alla s’installer sur un des lourds fauteuils près de la cheminée.

Il jeta un coup d’œil aux alentours. Il n’avait jamais eu l’occasion d’entrer ici, Barbouin-Bestu étant très solitaire et très protectrice de ses prérogatives, peu de membres de la communauté d’Ulfrik avaient eu l’autorisation de pénétrer sa demeure. Ce n’était certes pas un château, mais c’était assez bien aménagé et confortable. La dame était d’un goût certain, apprécia le chevalier, qui soudain pris d’une crise d’urticaire se mis à se gratter frénétiquement les avants bras. La dame de maison arriva et le salua d’un ton froid.

« Bonsoir Énieul. Vous êtes en avance. »
« Madame », salua ce dernier en esquissant une révérence, à demi relevé de son fauteuil. « J’eusse espéré un accueil plus chaleureux ! »
Elle ignora superbement la remarque déçue de son interlocuteur et se détourna pour ordonner d’un geste vif à son domestique d’apporter des boissons et une collation.

Après une dizaine de minutes qui pour Messire Énieul du Chêne semblèrent des heures, mal à l’aise et outré de sembler si insignifiant à cette dame, qui ne lui adressa pas une seule fois la parole, une autre personne toqua à la porte. Le domestique légèrement vouté se précipita pour aller ouvrir. Trois anciens seigneurs de Bretonnie firent leur apparition dans la pièce.

« Énieul ! » s’écria Édouard de la Dent en écartant les bras du mieux que lui permettait sa corpulence volumineuse. Il se précipita pour serrer son compagnon de quête dans ses bras comme si cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas vu. Énieul n’appréciait pas cet étalage d’affection, mais il rendit son étreinte à Édouard, heureux malgré tout de la voir, puis jaloux en voyant le large sourire qu’il échangea avec Isabelle en allant la saluer. Tous deux avaient toujours été très proches, au grand dam d’Énieul. Vinrent ensuite les frères Blachbouq, Messire de Valroux, et Vassily de Vives-Épines. Un silence prononcé s’installa à son entrée dans la pièce. Tous savaient la raison de sa présence, mais aucun n’était à l’aise ni avec lui, ni avec le fait qu’un des Sept soit présent au cœur de Violecée-la-Plaine. On les y voyait rarement. Ils s’étaient installés en bordure, et restaient généralement entre eux. Mais depuis quelques temps, ils semblaient vouloir se rapprocher des habitants du hameau sans en avoir réellement envie. Une distance étrange restait entre eux et les membres de la communauté, même ceux dont ils étaient les plus proches.
La porte se referma dans un grincement discret.
La réunion allait pouvoir commencer.

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