Victor Gillebois renâcla à son établi, se reculant brusquement en arrière. Décidément, il se demandait parfois si être le meilleur cordonnier de toute le royaume était une fierté ou un fardeau… Entre les admirateurs oisifs et obséquieux, les confrères jaloux, et les imbéciles lui demandant les lunes, il en avait soupé de sa condition. Mais il se plaisait dans son art, donc il faisait avec. Il secoua la tête, et retourna à son travail, dégouté de la tâche qu’il devait s’abaisser à accomplir pour un riche client. Coudre du tissu d’or sur du beau cuir pleine fleur ! Quelle aberration ! D’autant plus que le client avait exigé que le harnachement de sa monture soit du meilleur cuir, gravé sur chaque centimètre carré, quand bien même l’ensemble ne serait pas visible sous la couche de riche étoffe qui confinait au ridicule. Non mais vraiment ! Victor fulminait… mais il n’avait pas le choix. Il pouvait suffire d’un seul client mécontent et influant pour ruiner la réputation de son échoppe, et il n’y tenait pas particulièrement. Il se remit à l’ouvrage en marmonnant à voix basse sur l’air d’une chansonnette à boire graveleuse :
« Arléïs, Arléïs, ton harnais je te le pisse !
Hector, mon Hector, ton harnais je te le mord ! »