[Récit] La Quête de la compagnie de Grégoire – Partie 2

Aucun d’entre eux n’avait explicitement évoqué l’absence de signes depuis leur départ. Ils étaient tous conscients que leur quête était un abandon de leur être à la Dame, et la vanité ou l’orgueil qu’ils pouvaient éprouver à recevoir un signe rapide n’étaient qu’autant de freins à leur réussite.

Pourtant, ce soir-là, Messire Vassily de Vives-Épines brisa le tabou pour la première fois. Ils s’étaient installés pour la nuit en haut d’une butte, en plein milieu d’une humide forêt de conifères. Le sol graniteux ne leur avait pas laissé beaucoup de choix, mais au moins, ils seraient en sécurité. Leur feu de camp dressait hautes et vives ses flammes orangées. Le repas était fini depuis un petit moment, et c’était le moment de la journée où ils avaient pris l’habitude de tenir leurs discussions sur la suite à donner à leur périple.

« Mes amis, je crois que nous touchons au but. Sans présumer de notre réussite, ce que nous avons accompli ces derniers temps est digne d’éloges. Nous avons purifié de nombreux sites du royaume, et on ne compte plus les villageois que nous avons sauvés d’un danger certain ! » Il n’avait pas dit ça sur un ton présomptueux, pourtant il n’eut pour réponse que des grognements teintés d’acerbité. Chacun, en son for intérieur, pensait comme lui, mais aucun n’osait le reconnaître. Ceux ayant reçu la bénédiction de la Dame n’évoquaient jamais leur quête ni les faits qu’ils avaient accomplis lors de celle-ci. Nul ne savait, hormis ceux sanctifiés par leur douce divinité, ce qui méritait l’insigne honneur de pouvoir boire dans ses paumes opalescentes une fraîche gorgée d’eau. Et il était monnaie courante de penser qu’évoquer ceci portait malheur.

Chacun y alla de son argument, de sa maxime ou de sa désapprobation. La discussion allait bon train : le sujet leur tenait trop à cœur pour qu’ils l’évitent maintenant qu’il avait été abordé. L’un arguait qu’aussi hauts que fussent leurs faits, ils n’étaient que de menues actions aux yeux de la Dame, sans envergure, et donc peu digne de ses attentions. L’autre répondait que c’était en menant de petites actions insignifiantes, et sans rechercher l’honneur que l’on accédait à celui-ci. Et jusque tard dans la nuit ils discutèrent, sinuant entre les souhaits et espoirs de leurs actions futures et la remembrance de leurs actes passés. Seul Sir Grégoire ne disait mot. Perdu dans ses pensées, un tourbillon de doute, d’espoirs et d’émotions l’avait envahi depuis l’intervention de Messire Vassily.

Cette nuit-là, le dos coincé entre deux racines sinueuses de pin, il dormit profondément. Parmi ses rêves et songes nocturnes, par delà les barrières de la conscience, se glissèrent des murmures évanescents, chuchotés d’une voix si douce qu’il lui était impossible de se souvenir du mot précédant celui qu’il entendait. Bercé par cette mélodie soyeuse, son esprit s’apaisa, et il passa le reste de la nuit à dormir d’un sommeil sans rêve, que seuls meublaient ces susurrements, porteuses d’un message sans équivoque, directive latente, mais impérieuse : « Va à l’Est. »

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