[Récit] Le Sans Nom

Lorsque l’expédition quitta Castel-Graal, un grand nombre d’écuyers, serviteurs et autres assistants l’accompagna. Parmi eux se trouvait un jeune homme assez efféminé, aux longs cheveux blonds, mais doté d’une malformation de la mâchoire qui l’empêchait de parler. Il n’avait jamais connu ses parents, et avait été recueilli puis élevé par l’hospice de la bourgade. Personne, parmi les chevaliers ou les autres suivants, ne le connaissait, et personne, d’ailleurs, ne lui avait adressé la parole. Il y était habitué, cela faisait des années qu’il passait son temps à faire les corvées de l’hospice dans le silence et l’indifférence. Il avait sauté sur l’occasion de l’expédition pour quitter cette ville qui l’avait vu naître, et battre le pays en relative sécurité.
Lorsque les ogres surprirent l’expédition dans les montagnes par leur agression nocturne, il était parti soulager sa vessie un peu à l’écart. Il avait donc échappé au massacre, mais terrorisé, il avait tenté de fuir et s’était brisé une cheville. Muet, il avait été incapable de répondre aux chevaliers qui essayaient de retrouver des survivants, et avait donc été abandonné à leur insu.
Il clopina puis rampa en s’écorchant genoux et poignets jusqu’au lieu du carnage, et réussit à survivre en mangeant les cadavres qu’il disputait aux corbeaux. Le matériel ne manquait pas, et il s’était tant bien que mal installé une cabane dans un recoin, continuellement cerclée de feux de camp pour éloigner les prédateurs. Même en plein jour, au milieu de ce charnier où loups, renards et vautours se repaissaient paisiblement, il était terrifié.
Lorsque le reste de l’expédition s’en revint à Castel-Graal, ils prirent le même chemin, et naturellement, retrouvèrent le jeune homme. Peu de jours s’étaient écoulés, mais il était en pitoyable état. Ils lui offrirent de l’eau de leur coupe par charité, puis crièrent au miracle quand il réussit à se mettre debout et à boitiller, sans douleur, sa cheville réparée par l’eau de la Pourvoyeuse.
Il se lia à leur service, réussissant à leur faire comprendre qu’il serait leur écuyer, mais il ne put leur donner son nom : il n’avait jamais appris à écrire non plus.
Par jeu, sans méchanceté, Gérald du Bois Joli le surnomma le Sans Nom, ce qui fit bien sourire le nouvel écuyer. Au bout de deux jours seulement, ils avaient adopté ce surnom, et le jeune homme, heureux de faire partie d’un groupe en tant qu’individu, les suivit gaiement.

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