Ô ma Dame, accordez-moi la vie… Depuis des années je vous sers, je vous prie, et en votre nom j’ai accepté de nombreux sacrifices. Je vous en supplie ma dame, accordez-moi cette nuit la vie. Raphaëlle était à genoux, prostrée devant le petit autel de sa chambre personnelle. Les yeux clos, l’esprit ouvert et toute à sa prière, rien d’autre n’existait à ce moment pour elle que sa foi en la Dame et son vœu de porter en elle la vie. Vêtue d’une légère robe de nuit, elle frissonna. Elle n’était plus une jeune femme, mais elle restait très agréable à regarder, à en croire les regards que lui jetaient les hommes sur son passage.
Une perle salée née au coin de son œil droit glissa sur sa joue, elle serra les dents et se redressa. Elle souffla les bougies une à une, se dirigea vers la porte et fit basculer le loquet en position ouverte. Non sans peine, elle souleva légèrement le lourd battant pour ne pas que les gonds grincent, et entrouvrit la porte juste assez pour se faufiler. Une fois dans le corridor désert, elle jeta un coup d’œil à droite puis à gauche par précaution, mais à cette heure-ci, personne ne traînait hors de sa couche. Paillasse pour les uns, duvet de plume pour les autres, l’heure était au sommeil, non aux promenades. Elle inspira un grand coup, s’efforça de retrouver son calme et de ralentir le rythme de son cœur, qui pour le moment battait la chamade d’angoisse. Légèrement plus apaisée, elle laissa ses pieds nus l’emporter dans la direction de la chambre personnelle du Baron de Vertille.
…
« Ô dieux de la vie… accordez-moi de procréer… J’ai toujours défendu votre cause, toujours porté vos valeurs. Ma foi se porte vers notre Dame, mais à travers elle c’est la vie que je vénère. Je vous en supplie, accordez-moi de porter la vie. »
Raphaëlle était recroquevillée en chien de fusil, sur le sol froid et humide de la grotte qu’elle occupait depuis une semaine. Une semaine rude, qui avait suivi son exil de Bordeleau. La nuit qu’elle avait passé dans la chambre du Baron laisserait à tous les deux un souvenir vivace, et tout semblait s’être déroulé selon le plan de Raphaëlle.
Mais Madame la Baronne avait réussi, d’une façon ou d’une autre, à avoir vent de leur petit secret nocturne, et, folle de jalousie car il y a bien longtemps qu’elle ne partageait plus le lit de son mari, avait fait exiler la demoiselle. Comble de l’ironie, Raphaëlle n’avait pas conçu. La Dame n’avait pas daigné répondre à ses requêtes, et l’avait laissée aussi infertile qu’à sa naissance.
Et depuis une semaine, abattue par cet échec, elle se morfondait et priait à qui voulait bien l’entendre de lui accorder un enfant.
Malheureusement pour elle, sa requête finit par être entendue par la mauvaise oreille…