[Récit] Grut le Pansu

Ils partirent de Castel-Graal à trente chevaliers et leurs pages, accompagnés d’Ulfrik, et d’une vingtaine de suivants auxiliaires. Des quatre-vingts qui partirent sous les vivats de faubourgs, ils n’étaient plus que vingt-sept, dont des douzaines de chevaliers adoubés. Seul à pouvoir reconnaître l’emplacement de la grotte qu’ils recherchaient, Ulfrik avait été surprotégé par l’ensemble de la troupe, mais Énieul avait la désagréable impression qu’il n’aurait pas eu besoin de leur aide pour survivre.
Le voyage s’était passablement bien déroulé, et jusqu’à l’avant-veille, ils étaient encore pratiquement tous au complet : deux suivants s’étaient arrêtés et avaient renié leurs serments dans une bourgade impériale, l’un ayant eu une opportunité juteuse, tandis que l’autre s’était entiché d’une prostituée rencontrée dans une maison close. Sire Énieul renifla de mépris en repensant à ces deux défections.
Puis, il y a deux jours, ils s’étaient arrêtés pour le bivouac nocturne. Ulfrik, qui jusque là avait réussi à leur faire éviter la plupart des ennuis, semblait inquiet, mais aucune menace conséquente n’avait été détectée, à l’exception d’une meute de loups rôdant près de leurs réserves de nourriture. Les fauves, même s’ils semblaient énormes par rapport aux loups qu’ils chassaient dans les collines Bretonniennes, avaient été mis rapidement en fuite avec des torches.
C’est en plein milieu de la nuit qu’un troupeau d’animaux humanoïdes massifs avait déboulé en beuglant dans le campement, semant la panique en quelques instants. Ils n’étaient guère plus d’une douzaine, mais en cumulant leur force impressionnante, l’effet de surprise, et la couardise des pages et suivants, ils avaient perpétré un véritable massacre. Se reprenant peu à peu, les chevaliers tirés de leur sommeil rééquilibrèrent difficilement la situation, obligés de se battre à pied — à pied ! — car beaucoup des montures avaient déjà été tuées, s’étaient enfuies ou bien gisaient avec un cuissot en moins.
Ils ne durent leur salut qu’à une rixe qui éclata entre deux des créatures : toutes deux avaient voulu s’approprier le même malheureux page en guise d’amuse-gueule, et se criaient à tue-tête, leurs faces grossières et brouillonnes à quelques centimètres l’une de l’autre. Le jeune garçon, sujet de la querelle, gisait à leurs pieds, hurlant lui aussi à tue-tête, recroquevillé, et paralysé par la panique.
Le boucan attira une autre des créatures, puis une seconde, et lorsqu’un poing massif jaillit pour décrocher la mâchoire d’un troisième, tous se mirent à frapper et à mordre à tort et à travers.
Profitant de cet évènement bienvenu, les chevaliers réussirent à s’organiser et à abattre les autres créatures avant de se tourner vers la bagarre qui faisait toujours rage entre les deux antagonistes du début. Du page, il ne restait plus qu’une bouille infâme, mais les deux monstres semblaient même avoir oublié ce qui les avait montés l’un contre l’autre.
Sire Énieul et les siens encore debout les encerclèrent, mais aucun des deux ne semblait s’en préoccuper, jusqu’à ce que le plus grand des deux finisse par ouvrir proprement l’abdomen gras de l’autre. Fou de douleur, celui-ci sauta à sa gorge en retour, et y mordit profondément avec un gargouillis répugnant.
« Les ogres… » soupira Ulfrik en arrivant derrière Énieul.
« Ainsi ce sont des ogres ? » demanda le chevalier Gérald du Bois Joli. « Je les imaginais plus grands. »
« Grands dieux non, ils sont déjà bien assez dangereux comme cela ! » grogna Ulfrik en s’approchant du survivant, qui s’était effondré a sol.
« Messire Énieul, cela vous intéresserait-il de ramener cette chose à Castel-Graal ? Cela amuserait probablement vos citoyens, et donnerait matière à histoires incroyables »

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