[Récit] Bastien le Bègue

Bastien banda son arc. Il ne pourrait pas lui échapper, la cible était trop facile. Il souffla longuement, et lâcha la flèche. La corde vibra, et la pointe fendant l’air émit son sifflement bref mais caractéristique, suivit d’un son mat. Simon hurla, ses cris et imprécations attirant Béalf commun chien de garde. Bastien ouvrit grand les yeux, une boule au ventre et le teint pâle. C’était un des vers de Simon qu’il venait de transpercer… quelle gaffe. Il rangea son arc en vitesse et déguerpit de l’endroit où il se trouvait, se carapatant plié en deux derrière les fourrés. Il savait que l’empennage de sa flèche le trahirait, mais il préférait mettre un peu de distance entre lui et Simon pour le moment.

Pas très malin, à moitié sourd et bègue, il n’avait jamais été très bien accueilli, ni dans son village natal, ni dans la tannerie où il avait travaillé quelques années. Il s’était enfui, et avait décidé de se joindre aux premières personnes croisées sur les routes qui accepteraient qu’il voyage en leur compagnie. Là encore, il avait essuyé un nombre incalculable de refus, plus ou moins polis, jusqu’à ce qu’il rencontre cette troupe de chevaliers. Bastien ne s’était pas inquiété de savoir qui ils étaient. Cela faisait longtemps qu’il ne s’en inquiétait plus. Ils dégageaient une sale odeur, mais il avait connu la tannerie, et franchement… cela lui avait appris à oublier de sentir les mauvaises odeurs. Ce qui l’avait le plus dérangé, au fond, c’était de se retrouver au milieu de chevaliers en armure. Il ne se sentait pas légitime en leur sain, d’autant que certains faisait bien sentir aux non-adoubés leur supériorité. Supériorité toute relative, car si elle avait été effective du temps où ils évoluaient à Castel-Graal, depuis qu’Ulfrik avait pris leur tête, il n’y avait plus de rangs, et tous étaient égaux dans les droits et devoirs.

Mais il s’y était fait, d’autant plus qu’on lui avait fait plutôt bon accueil, et ça, c’était la première fois que cela lui arrivait. Ils avaient beau être couverts d’asticots et de suinter la décadence, ils étaient de bons camarades. Bastien n’en demandait pas plus.

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