[Récit] Amiral Sigismud Toquet

Minima de Malis… De deux maux le moindre. C’était sa devise, et ce qui l’avait poussé à rejoindre la troupe d’Ulfrik. Il s’y faisait, mais espérait bien trouver une situation moins embarrassante un jour. Ceci dit, ses chances étaient infimes, et il le savait. Foutue foi, ça vous perdait des hommes !

Tout avait commencé en mer. Amiral de la flotte du Roy Louen, réputé pour son sens de la stratégie et sa capacité à trancher rapidement des dilemmes tactiques ardus, félicité pour sa finesse d’esprit et de lame… Il fut une haute figure de Bretonnie. Le temps qu’il passait à terre, il le passait à la cour du Roy, et il n’hésitait pas à défaire en duel tout chevalier qui moquait son activité manquant de charges épiques.


Et pourtant, les charges épiques, bien qu’il eut du mal à se le reconnaître lui-même, ça lui manquait. Il en avait marre de la finesse, marre de l’ennui en pleine mer pour quelques heures de combat naval tout aussi ennuyant, mare de l’immobilité sur le pont, et marre du fleuret, seule arme blanche autorisée sur les navires bretonniens.
Il finit donc par donner sa démission au Roy, et se fit chevalier de la quête. Il acheta un cheval robuste avec sa prime de fin service, embarqua son paquetage sur son dos, et se mis en quête d’un gros marteau. Il trouva son bonheur chez un marchand de la ville, ravi de se débarrasser de cette arme dont personne, ici, ne voulait. Puis il prit la route, et nul n’entendit plus parler de lui. Personne ne s’en étonna, car il était monnaie courante de ce genre de faits : peu des chevaliers qui partaient à la quête du Graal et de la Dame revenaient de leur périple.


Et pourtant, il survécut aux dragons, pourfendit des hybrides ignobles, à mi-chemine entre le bouc et l’humain, pique-niqua des fruits et des noix avec les elfes de la forêt (éblouit par les histoires des grands chevaliers de son enfance, il ne se rendait pas compte de l’honneur que ceux-ci lui avaient fait), et se baigna dans la Cascade aux Sylves sans se faire écharper par celles-ci.
Nombreux sont ceux des chevaliers ayant suivi la même voie que lui qui avaient péri plus tôt, ou qui auraient rêvé d’un tel conte.
Au bout de cinq ans d’errance, solitaire, mais héroïque, il crut avoir trouvé la consécration de sa Sainte Mission dans les eaux d’un étang au miroir parfait. Attiré vers les eaux, il mit pied à terre et s’y agenouilla, tandis qu’une forme s’élevait de la surface que nulle onde ne troublait. Prostré, ému, et en pleine communion avec lui-même et avec sa foi, il ne leva même pas la tête quand on lui tendit un gobelet ruisselant d’un liquide plus clair encore que de l’eau de roche, comme baignée d’une lumière interne. Il y but longuement. « Jusqu’à la lie » racontaient les histoires. Jusqu’à la lie il boirait. Et il essaya. Mais il avait déjà vidé au moins quatre fois le volume du calice, et celui-ci ne semblait s’arrêter de se vider. Sa foi vacillant au fur à mesure que son estomac lui demandait pitié, il ouvrit les yeux, pris d’un doute. Ulfrik se tenait à ses côtés, un petit sourire au coin de ses lèvres. La main tendue pour récupérer l’objet.


« L’eus-tu voulu, tu n’aurais pas pu le vider. Rends-le-moi, maintenant. Je te promets de te le prêter à nouveau bientôt. »
Sigismund émit un glapissement en découvrant le visage de son interlocuteur. Bouffi et vérolé, il était à l’opposé de ce qu’il imaginait pour sa Dame.
« Ma Dame, murmura-t-il, que cela signifie-t-il donc ?
Ta Dame ? lui répondit Ulfrik en partant d’un grand rire. Ta Dame ? Vous avez entendu ça mes amis ? » À sa remarque narquoise répondit le rire gras d’une bonne dizaine de personnes, hors du champ de vision de Sigismund.
« Mon pauvre, reprit Ulfrik, ta Dame, en me mettant sur ton chemin, t’a probablement abandonné, tant soit peu qu’elle existe. Mais si tu veux continuer à m’appeler “ma Dame” pendant les longues années que nous allons passer ensemble, je suppose que ça nous donnera matière à quelques rires bienvenus. »
En pleine désillusion, l’ancien amiral tenta de s’offusquer de ce que lui disait Ulfrik, mais la colère et l’humiliation bloquèrent les mots dans sa gorge.
« Je sais ce que tu vas dire… tu ne vois pas pourquoi tu nous suivrais, et tu ne sais même pas ce qu’on te veut. Et bien pour la seconde question, c’est assez simple : tu nous as semblé bien sympathique, même si encore un peu naïf, et il se trouve que nous venons de perdre un compagnon… On s’est dit que tu ferais l’affaire. Pour la première question, le calice pour lequel tu as mis tant d’abnégation à essayer de le finir sécrète une eau qui te sera désormais vitale… Si cela peut te rassurer, nous sommes tous logés à la même enseigne de ce point de vue là. Cependant nous ne t’obligerons à rien, le choix sera tien. Mais si tu veux vivre, tu nous suivras. »
Minima de Malis… Minima de Malis.

Laisser un commentaire